Ballet national du Canada : le dernier Onéguine de Guillaume Côté

Chorégraphie : John Cranko

Distribution : Jurgita Dronina, Guillaume Côté, Tina Pereira, Harrison James et le Corps de Ballet du Ballet national du Canada

Musiques : Piotr Ilitch Tchaïkovski

ph.Karolina Kuras

Comme deuxième programme de la Fall Season, le Ballet national du Canada a présenté le chef d’œuvre de John Cranko, Onéguine, créé en 1965 pour le Stuttgart Ballet d’après le roman d’Alexandre Pouchkine.

Lorsque le chorégraphe découvre le livre au début des années 1950, il est séduit : « Cette œuvre m’a fait une très forte impression parce qu’elle permet de chorégraphier des scènes entières où se côtoient des styles totalement opposés, articulés autour d’un quatuor parfaitement structuré ».

Le 22 novembre, soir de la première, l’étoile Guillaume Côté interprétait le rôle d’Onéguine, avec à ses côtés la principal dancer Jurgita Dronina pour Tatania.

Les prémisses d’une grande première étaient réunies, d’autant plus que deux autres principal dancers du Ballet national du Canada, Tina Pereira et Harrison James, incarnaient les personnages d’Olga et Lenski.

Le Ballet

Dès son apparition dans le premier acte, Guillaume Côté fait comprendre au public le caractère de son « Onéguine » : sa gestuelle apparait très dramatique mais en même temps poétique, valorisant toutes les nuances requises par son personnage. Chaque mouvement est particulièrement étudié et surtout musicalement en syntonie avec les mélodies de Tchaïkovski. Sa technique et la pureté de son style n’échappent pas au public dès le premier pas de deux avec Tatiana, où il commence à la séduire.

Guillaume Côté pendant son solo transmet les tourbillons de l’âme d’Onéguine, conscient de ne pas pouvoir partager les sentiments de la jeune femme.

Guillaume Côté-ph.Karolina Kuras

Tina Pereira (Olga) et Harrison James (Lenski) apparaissent, parfaitement alignés sur le niveau interprétatif du couple Dronina-Côté. Les deux jeunes sont des fiancés heureux ; ils dansent avec finesse et élégance et expriment avec joie les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Le moment clé du premier acte est sans doute celui du pas de deux entre Onéguine et Tatiana. Cette dernière est tombée sous le charme du jeune dandy et, la nuit venue, ses pensées envers lui l’empêchent de dormir. Elle lui écrit une lettre et en même temps rêve sa passion amoureuse. John Cranko imagine une chorégraphie riche de portés acrobatiques et de tension.

Les deux interprètes se laissent aller en crescendo dans les bras l’un de l’autre. Soutenus par les sonorités romantiques de la musique, le couple Dronina-Côté émeut ; une alchimie parfaite se dégage d’eux. Dans le final de la scène, on ressent d’une part les vibrations de la jeune fille et d’autre part le pouvoir de séduction d’Onéguine, qui met tout en œuvre pour que le rêve de Tatiana se réalise.

Alexandre Pouchkine écrit : « Il vint… Ses yeux se dessillèrent, elle se dit : « Je le reconnais. » Dès lors, les rêves solitaires, les journées et les nuits sont à jamais remplies de lui… » (A. Pouchkine, Eugène Onéguine, chapitre troisième, VIII).

Dans le deuxième acte, la personnalité cynique et impitoyable d’Onéguine se manifeste. Après avoir déchiré dans les mains de Tatiana la lettre d’amour qu’elle lui avait envoyée, il commence à courtiser Olga, qui accepte ses avances. Il insiste, provoquant la colère de Lenski ; l’affrontement entre les deux hommes est inévitable. Les interprètes, y compris les deux jeunes femmes Tatiana et Olga, rendent avec intensité le caractère dramatique du moment qui conduira Onéguine et Lenski à se défier en duel. Harrison James est remarquable dans son solo, juste avant le moment de l’affrontement. Son corps dansant est en syntonie avec les notes mélancoliques du violon. Il sent que sa mort arrive.

ph.Karolina Kuras

Le troisième acte s’ouvre avec un grand bal où Tatiana est désormais devenue l’épouse du Prince Gremin (Ben Rudisin) : désormais elle n’est plus une jeune femme et elle maîtrise sa vie. Le moment central de cet acte est sans doute un nouveau pas de deux entre Tatiana et Onéguine. John Cranko imagine aussi pour ce passage des lifts, des portés, des figures qui élèvent et expriment les sentiments des protagonistes. Onéguine essaye en vain de reconquérir le cœur de Tatiana.

Les deux interprètes principaux livrent des images de danse merveilleuses, riches en tension, en émotion et en passion où ils s’enlacent mutuellement. Leur corps s ’abandonnent aux sensations et leur sensibilité artistique se dévoile dans toute sa profondeur : Tatiana est capable d’exprimer ses hésitations, animée par les souvenirs du passé ; Onéguine essaie de lui exprimer ses regrets et lui demande pardon. Son désir de convaincre Tatiana de retourner en arrière transfigure Côté qui apparait complétement métamorphosé. Tatiana l’éloigne définitivement avec fermeté.

ph.Karolina Kuras

Tout le Corps de Ballet suit, créant la juste atmosphère tout au long du spectacle. De longs et chaleureux applaudissements suivent, saluant la performance de tous les interprètes et en particulier celle de Guillaume Côté, qui a dansé pour la dernière fois le rôle si puissant d’Onéguine deux jours après, le 24 novembre 2023. L’étoile ne peut pas cacher son émotion, ressentie dans toute la salle du Four Seasons Centre de Toronto.

Radio Canada en parle ici, à écouter.

Toronto, Four Seasons Centre, 22-24 novembre 2023

Antonella Poli

 

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